Prades 2032 - Roman

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Prades 2032

Chapitre premier  -  HUMANÉA TV

reportage télévisé – 3 février 2032

"La lumière bleutée pulse doucement dans la pièce. Sur l’écran, des images s’enchaînent, rythmées, précises, scandées par une voix au timbre posé, maîtrisé. Une voix qui sait captiver, qui sait conter non pas un simple bulletin d’information, mais une épopée.

L’épopée d’une ville. Le reportage s’ouvre sur un survol aérien de Prades, une ville métamorphosée, baignée de lumière, vivante, palpitante comme un organisme sain enfin délivré de ses maladies passées. Les plans sont nets, chirurgicaux : des rues pleines de monde, des terrasses ensoleillées, des enfants courant sur les places réaménagées.

Et la voix reprend, posant les mots avec la justesse d’un poète décrivant un âge d’or :

"Pendant des décennies, Prades a dormi. Mais en six ans, tout a changé. Aujourd’hui, elle est éveillée, debout, plus forte que jamais."

Puis les images basculent. Un avant. Un après. D’un côté, l’ombre : des rues désertes, des commerces fermés, des façades grises rongées par l’abandon. De l’autre, la renaissance : un marché coloré où les voix résonnent, un boulevard bordé d’arbres, une ville qui respire. Le contraste est saisissant, presque violent. La caméra file à travers les quartiers, capturant des éclats de vie : un boulanger serrant la main d’un client, une librairie bondée, un cours de musique improvisé sur les marches d’un bâtiment municipal transformé en conservatoire.

Dans le reportage, on entend les voix de ceux qui avaient vécu le changement, celles des Pradéens eux-mêmes.

"Avant, je voulais partir. Aujourd’hui, je veux construire ici."

"On se sent en sécurité. Il y a du monde, il y a de la vie, c’est comme si la ville avait retrouvé une âme."

"Regardez autour de vous… Qui aurait cru ça possible il y a dix ans ?"

Puis, l’écran change encore. Un chiffre apparait en lettres blanches sur fond bleu sombre. Un million. Le nombre de végétaux plantés en six ans.

L’image s’élève lentement au-dessus d’un parc immense, foisonnant de chênes, de saules et de magnolias. On y voit des enfants jouer au bord d’un petit lac artificiel, des jeunes couples allongés dans l’herbe, un monde en train de respirer à nouveau.

"Prades a cessé d’être une ville de pierre. Elle est redevenue une terre fertile."

"Au début, ce ne furent que des pousses timides entre les pavés. Des herbes folles osant se frayer un chemin entre les fissures de l’ancien monde. Puis vinrent les premiers arbres, plantés par des mains hésitantes, presque incrédules. Les rues grises s’adoucirent, les murs s’habillèrent de verdure. Peu à peu, le bitume cessa d’écraser la vie, et la terre, libérée, recommença à respirer."

"L’eau était le vrai défi. Car une forêt sans eau est un mirage, une illusion vouée à se flétrir sous le soleil implacable du sud. Mais l’innovation avait ouvert des chemins inexplorés. À Prades, on ne plantait pas au hasard : chaque arbre, chaque plante était sélectionnée pour sa résistance à la sécheresse et sa capacité à retenir l’humidité. Des capteurs intelligents, disséminés dans le sol, analysaient en temps réel les besoins en eau. L’irrigation n’était plus une affaire de gaspillage aveugle, mais une danse millimétrée entre la technologie et la nature. L’eau était récupérée, stockée, redistribuée avec une précision chirurgicale, grâce à un réseau de micro-goutte-à-goutte qui n’offrait à la terre que le strict nécessaire. Une ville-forêt oui, mais une forêt maîtrisée, adaptée à son époque, à son climat, à son sol."

"Il ne suffisait pas de planter un million d’arbres. Il fallait leur donner de quoi survivre. Il fallait dompter la sécheresse sans jamais la provoquer."

"Alors, la ville s’est adaptée. Les ingénieurs et les agronomes ont travaillé main dans la main avec la nature, observant ce que les paysages méditerranéens savaient déjà depuis des siècles. Ils ont réintroduit les haies brise-vent, les fossés naturels qui captaient l’humidité, les plantations en terrasse qui ralentissaient l’évaporation. Chaque espace vert était conçu comme un écosystème autonome, où la moindre goutte d’eau était précieuse."

"La technologie a pris le relais là où la nature trouvait ses limites. Chaque plante recevait exactement ce qu’il lui fallait, ni plus, ni moins. Aucune perte, aucun gaspillage".

"L’énergie, elle, venait d’ailleurs. L’église classée, veillant sur la ville depuis des siècles, interdisait tout panneau solaire sur les toits du centre historique. Mais Prades avait trouvé une autre voie. À quelques kilomètres, dans des champs autrefois laissés en friche, une mer de panneaux noirs captait le soleil impitoyable du sud. Reliée à la ville par un réseau intelligent, cette centrale photovoltaïque fournissait l’électricité nécessaire au fonctionnement des pompes et des systèmes de gestion de l’eau. Grâce à cette alliance entre nature et ingénierie, chaque goutte d’eau utilisée pour la ville avait été capturée, filtrée, et livrée avec une précision chirurgicale."

"Ainsi, ce n’était plus l’homme qui imposait ses règles à la nature. C’était la nature qui dictait ses lois, et l’homme qui, enfin, apprenait à les respecter."

Puis la caméra se fixe sur un projet immobilier. Non pas un bloc froid et déconnecté de son environnement, mais un ensemble harmonieux de maisons intégrées au paysage, conçues selon l’avis des habitants.

"Ici, plus rien ne se construit sans l’accord de ceux qui y vivront."

Et alors que l’image montre une salle de référendum citoyen, où les habitants débattent des nouveaux aménagements, la voix du reportage déclare.

"Une ville appartient à ceux qui l’habitent. À Prades, cette phrase n’est plus une idée abstraite. Elle est une loi non écrite."

Puis viennent les infrastructures. Des images de la voie rapide achevée, serpentant entre les montagnes, reliant Prades au reste du territoire sans lui ôter son identité. Une artère vitale, une ligne de vie. Des images d’une centrale solaire, des champs équipés de panneaux photovoltaïques scintillant sous le soleil.

"Moins de factures, plus d’indépendance. Voilà la ville du futur."

Et enfin, la culture. Une scène de théâtre où un enfant récite son premier texte devant un public. Une salle de formation, où des étudiants en ingénierie échangent avec des chercheurs. Une bibliothèque municipale ouverte tard dans la nuit, lumière allumée, portes ouvertes.

"Ici, on apprend, on crée, on invente. Et tout le monde y a accès."

La caméra capture la place du centre-ville, où une foule s’est rassemblée. Les élections municipales approchent, mais personne ne doute du résultat. Une certitude flotte dans l’air. Les visages sont sereins. Les discussions ne sont pas inquiètes, mais joyeuses, confiantes. Les images deviennent plus lentes. Un sourire ici, une poignée de main là.

Et enfin, le dernier plan. Celui d’un homme, debout face à la ville qu’il a relevée. L’homme par qui tout a commencé. Il observe cette place animée, ce monde en mouvement. La caméra ne montre pas son visage, juste ses mains qui se crispent un instant, comme pour s’assurer que tout cela est bien réel.

Puis la voix du reportage s’efface, remplacée par une simple phrase sur fond noir.

"Tout cela, grâce aux rêves, aux histoires d’amour, aux projets, grâce au cœur d’un homme."

Prades 2032 - Gabriel Manas